Le chevesne au |
J'ai pris conscience du formidable pouvoir d'attraction que ces poissons nageurs miniatures exercent sur le chevesne en pêchant le black bass en rivière.
Ou plutôt en n'en pêchant pas, au cours d'une de ces journées où après quelques heures on se dit que ça sent la bredouille... Pas un carnassier en vue, aucun signe d'activité, pas même le traditionnel sifflet ou la perchette de consolation.
Les seuls à manifester un peu d'activité étaient les chevesnes, croisant en surface par petit groupes épars le long des rives ombragées.
Le cabot n'est pas le poisson qui m'intéresse le plus, mais certains étaient de fort belle taille, et je décidais de ne pas suivre l'exemple du héron de La Fontaine.
Mes premières tentatives, avec un poisson nageur flottant, virent mes espoirs de sauver la bredouille partir en fumée. Ou bien les cabots s'enfuyaient au son du leurre touchant l'eau, ou bien ils s'en approchaient d'un air intéressé pour s'en écarter dédaigneusement au dernier instant.
Méprisé par les chevesnes : je touchais le fond !
Je me mis à fouiller mes boites à leurres en cherchant avec quoi je pourrais punir l'outrage et finis par mettre la main sur la case "miniatures", pour en extraire une petite merveille d'alevin nageur hyperréaliste.
Je venais, un peu par hasard, de toucher le jack pot : tout au long de cet après midi, le taux d'acceptation du leurre a frôlé les 100%, à savoir que si tous les poissons vus et tentés n'ont pas été pris (parce que j'en ai manqués ou décrochés), quasiment tous ont attaqué.
Un tel pourcentage est très rare s'agissant de pêche au leurre, et même exceptionnel si l'on considère d'une part que le chevesne n'est pas un véritable carnassier, et d'autre part qu'il est réputé pour sa méfiance, notamment quand il est de belle taille (plusieurs spécimens avoisinaient les trois livres).
Je sais que beaucoup de pêcheurs méprisent le chevesne. On lui reproche la nullité de sa valeur culinaire et une défense médiocre.
J'écarte le premier argument car dans mon esprit la gastronomie est une chose, la pêche sportive en est une autre. En d'autres termes, je pêche pour m'amuser plus que pour manger.
La défense du chevesne est au moins égale à celle du sandre, souvent même nettement plus brillante. Et pour peu qu'on utilise un matériel sensible, indispensable avec des leurres aussi légers, un gros cabot procure de très belles sensations.
Et surtout, vu l'abondance de l'espèce on n'a pas souvent l'occasion de s'ennuyer, ce qui est très appréciable car de nos jours la pêche des carnassiers conventionnels est trop souvent ingrate.
Enfin, cette technique passionnante n'accorde aucun droit à l'erreur : pour réussir il faut allier discrétion, précision, réflexes et maîtrise du matériel qui doit être parfaitement adapté.
Autrement dit il ne s'agit pas seulement d'un défoulement, mais aussi d'une très bonne école pour ceux qui s'intéressent aux pêches de surface. Apprendre en s'amusant, que demander de mieux.
Voyons cela plus en détail. La première chose est de trouver des chevesnes. L'espèce est très commune, du moins en rivière de plaine, et peu pêchée. Les sujets de taille intéressante, de une à trois livres, ne sont donc pas rares.
On s'aperçoit vite que les chevesnes ont des tenues bien localisées et s'en écartent très peu, exception faite des inévitables migrations saisonières. Si vous repérez un poisson, soyez certain que vous le retrouverez au même enfroit dans une heure ou dans trois jours, à 20 ou 30 mètres près, en tout cas tant que vous ne l'aurez pas pris, car ce comportement casanier finit généralement par provoquer sa perte.
Autres points à retenir : les chevesnes préfèrent les bordures, les secteurs ombragés, les postes très encombrés. D'autre part, s'ils se nourrissent toute l'année, la pêche en surface n'est vraiment rentable qu'à la belle saison, quand ils recherchent les insectes tombés à l'eau. Toutefois, par beau temps et eau basse j'en ai pris à vue fin octobre.
Ma tactique préférée consiste à pêcher en bateau en remontant lentement le courant au moteur électrique, à quelques mètres du bord. Mais bien sûr je ne vois pas ce qui vous empêche d'essayer depuis la rive, si l'accès le permet.
Pourquoi en remontant ? D'abord pour surprendre plus facilement les sujets postés qui sont orientés vers l'amont, mais surtout parce que si je rate un poisson à la première tentative, ou si je tombe sur un récalcitrant, je sais que j'ai tout le temps de tenter une deuxième approche parce que le courant m'éloigne du poste au lieu de me pousser dessus avec les conséquences qu'on imagine.
Il faut progresser très lentement, en scrutant les bordures, de préférence avec des lunettes polarisantes, le but étant de voir le poisson avant qu'il ne vous voit.
Dés qu'un spécimen intéressant est repéré, j'arrête le moteur électrique et me prépare à lancer. Il faut être très avare de mouvement, et c'est pourquoi pendant toute la prospection je garde la canne à la main, pick-up ouvert.
Les sens du chevesne sont très affûtés : le simple fait de se pencher et d'allonger le bras pour se saisir d'une canne posée dans la barque suffit souvent à donner l'alerte, et quand on se redresse le poisson est en fuite.
Le lancer est la phase la plus importante. Dans l'idéal, le leurre doit se poser en douceur à quelques centimètres de la queue du poisson, exactement comme pour la pêche à la surprise, mais avec cette différence que s'il est facile de déposer une sauterelle au centimètre près et en toute discrétion quand on s'aide d'une canne de six mètres, parvenir au même résultat en propulsant un leurre de 2 gr à distance est loin d'être de la tarte.
Car non seulement il faut posséder une précision que seule l'habitude et un matériel bien adapté permettent d'obtenir, mais il faut impérativement freiner la chute du leurre une fraction de seconde avant qu'il ne touche l'eau, afin que le "posé" soit le moins bruyant, le plus naturel possible (si tant est que le posé d'un alevin puisse être qualifié de naturel, mais le chevesne, en tout cas, ne semblent pas s'étonner de le voir tomber du ciel, soit qu'il le considère comme une sorte de gros insecte, soit qu'il ne se pose tout simplement pas la question).
Si le lancer est parfaitement réussi, 9 fois sur 10 le poisson se retourne brusquement et prend le leurre : c'est un réflexe très puissant et bien connu, propre à cette espèce.
Si le leurre tombe devant le nez du poisson, il s'effraie et s'enfuit. Même chose si le posé est précis mais trop bruyant.
S'il tombe à plus de 50 cm du poisson l'effet de surprise ne fonctionne plus. Soyez certain que le chevesne a entendu le posé et qu'il va venir voir, mais cette fois il va prendre le temps d'examiner. Et c'est là que les choses vraiment amusantes commencent.
Le poisson se dirige vers le leurre, mais sans précipitation. Lorsqu'il n'est plus qu'à 20 cm, donnez une très légère secousse dans la ligne, juste pour faire frémir la surface. Certains jours, cela suffit à le décider : à ce signal il accélère et gobe le poisson nageur plus ou moins délicatement. Lorsque les chevesnes sont aussi peu regardants, c'est le carton garanti, puisque la précision n'est plus nécessaire : il suffit de lancer à proximité pour les prendre aussi facilement que si vous aviez réussi un posé parfait.
Mais en règle générale les choses sont un peu plus subtiles. Un beau poisson de plus du kilo s'approche, vous donnez l'impulsion, mais il n'attaque pas. Il veut voir ça de plus près et vient coller son nez camus contre le leurre.
Votre rythme cardiaque s'accélère mais le cabot fait un quart de tour et s'éloigne, pas du tout convaincu, dédaigneux même. Il va falloir sévir...
Animer le leurre en surface, par petites secousses de l'ordre du centimètre, un peu comme on anime une sauterelle pour faire des ronds dans l'eau.
Ces mouvements semblent avoir sur les gros chevesnes un effet presque hypnotique : j'ai vu des sujets de 2 ou 3 livres, réputés très méfiants, esquisser des simulacres d'attaque, taper dans le leurre gueule fermée, s'en détourner plusieurs fois pour mieux revenir comme s'il était aimanté, et "jouer" ainsi sur plusieurs mètre pour venir se faire prendre quasiment sous la canne, à deux mètres de la barque.
Il est difficile d'exprimer ce que l'on ressent dans ces moments là. Il s'agit vraiment d'un duel entre le poisson et le pêcheur, d'un bras de fer psychologique qu'on ne gagne pas à tous les coups, loin s'en faut.
Et quand il finit par craquer et se saisit délicatement du leurre, du bout des lèvres, quand un petit coup de poignet plante l'hameçon et que la canne se plie brutalement, la victoire est totale, c'est le "sans faute".
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