Pêche au vif
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S'agissant de la pêche du brochet ou du sandre au vif, le ferrage a la touche (ou ferrage immédiat) fait le plus souvent, hélas, encore figure d'hérésie chez les pratiquants. "Encore une invention de parisiens", pensent les adeptes du "laisser mordre".
Ce scepticisme est bien compréhensible : combien de fois ne nous a-t-on pas rabâché qu'il fallait attendre le second départ pour ferrer ? La fameuse légende de cette cigarette, qu'on aurait largement le temps de savourer avant de se décider à "claver" la gueule d'un grand bec, a la peau dure. Aussi dure que la mâchoire "pavée de plus de 700 dents" de notre "requin d'eau douce", dans laquelle les hameçons n'auraient aucune prise, d'où la nécessité de laisser avaler.
Le ferrage retardé présente, il est vrai, un énorme avantage : il est imparable! Un brochet (ou un sandre) piqué dans la gorge ou l'estomac est un brochet pris, il n'a aucune chance de se décrocher. Hélas, c'est aussi un brochet mort dans la majorité des cas, qu'on le garde, qu'il casse la ligne ou qu'on le relâche...
Même en supposant qu'il en réchappe, ce sera au prix de blessures et d'abcès particulièrement graves. Prétendre qu'il suffit de couper le bas de ligne au ras de la gueule d'un carnassier qui ne fait pas la maille et que les sucs gastriques se chargeront de dissoudre l'hameçon, c'est se donner bonne conscience à peu de frais.
Cet alibi repose sur le fait qu'il arrive de trouver un ou même plusieurs montages en cours d'oxydation dans l'estomac d'un carnassier pris à la ligne : on en déduit que ça n'a pas l'air de le gêner. L'argument n'est pas sérieux car il ne tient pas compte des poissons qui n'ont pas survécu : c'est un peu comme si l'on affirmait que le cancer est une maladie bégnine... en ne s'appuyant que sur le chiffre des quelques malades qui s'en sortent bien!
La vérité est beaucoup moins glorieuse : le pêcheur au vif qui "assure" la prise en laissant avaler, accepte plus ou moins consciemment de sacrifier plusieurs brochetons ou sandrillons plutôt que de prendre le risque de rater un poisson maillé. Un tel choix pouvait à la rigueur se comprendre quand le poisson abondait et que l'on n'était pas très informé des techniques modernes, mais aujourd'hui il est d'autant plus critiquable que les populations de carnassiers, brochets en particulier, sont souvent mal en point.
Beaucoup de pêcheurs pensent que l'augmentation de la maille du brochet 60, ou encore l'établissement d'un quota journalier, n'auraient aucun sens sans une interdiction de la pêche au vif. Personnellement, je suis contre le principe d'une telle interdiction. Il existe une 3ème voie : le ferrage à la touche.
Il consiste à ferrer rapidement, pour que l'hameçon se plante dans la machoire du poisson (partie très peu vulnérable de son anatomie) avant que l'appât n'ai été ingurgité au-delà de l'oesophage.
Bien entendu cette technique se heurte à une difficulté : comment savoir à quel moment ferrer ? Si on laisse avaler la question ne se pose pas (il suffit d'attendre "assez longtemps"), mais pour piquer le poisson au bord de la gueule, comment être sûr que c'est le bon moment ?
La réponse est simple : un pêcheur à la cuiller, au poisson nageur ou au mort manié ne se pose pas la question : il ferre dés qu'il sent une touche. Hé bien au vif il est parfaitement possible de faire la même chose, à condition toutefois de modifier son système d'armement en conséquence. En effet, les armement discrets pour le ferrage retardé, destinés à être avalés facilement (et donc les plus discrets possibles), ne permettent pas de ferrer à la touche avec des garanties de succès suffisantes. Il faut donc des montages spécialement adaptés pour que la méthode révèle toute sa valeur et son efficacité.
Grâce à un montage adapté ce sandre a pu être ferré à la touche et piqué au bord des lèvres, avant qu'il n'ait eu le temps d'avaler... ou de recrâcher l'appât !
Efficacité ? Hé bien oui, en effet, avant de parler technique pure et taille d'hameçon, il faut ajouter un chapitre important concernant le ferrage à la touche : son intérêt ne se limite pas, loin s'en faut, à préserver les juvéniles.
Et s'il n'est pas possible, en toute objectivité, de prétendre qu'il est à 100% aussi fiable, il peut pourtant se révéler nettement supérieur dans certains cas de figure, en termes de plaisir de pêche, mais aussi d'efficacité.
Je me souviens, comme si c'était hier, d'un magnifique brochet d'une quinzaine de kilos, pris devant moi par un pêcheur au vif dans le lac de Sainte-Croix.
L'homme n'était visiblement pas très sûr de lui, et il attendit très longtemps, peut-être bien cinq longues minutes, avant de se décider à ferrer.
Le combat fut le plus court et le plus décevant auquel j'ai jamais assisté, compte tenu du poids et de la musculature de ce poisson, qui était véritablement taillé "comme une poutre". Il était évidemment piqué dans l'estomac, et sans doute dans une partie très sensible car il n'offrit guère plus de résistance... qu'une serpillière !
La morale de cette histoire est à double tranchant. On peut penser que ce pêcheur a eu raison, puisque le brochet fût mis au sec en moins d'une minute, et qu'en ferrant à la touche, il aurait pris le risque de mal piquer et de perdre le poisson de sa vie...
Mais une chose est sûre : s'il a bien eu le trophée, cet homme est, sans doute, passé à côté de l'émotion de sa vie de pêcheur. Il s'est privé d'une bagarre mémorable, pleine d'adrénaline et d'incertitudes. Une de ces bagarres épiques dont nous rêvons tous, et auxquelles nous renonçons pourtant, par avance, à chaque fois que nous faisons passer la peur de perdre avant le plaisir de prendre.
D'un point de vue purement pragmatique, le ferrage à la touche peut également se révéler plus performant que le ferrage retardé. Il constitue même la solution technique la plus rationnelle, dans au moins trois cas de figures rencontrés fréquemment en pêchant au vif ou au mort posé.
Si l'on attend trop longtemps avant de ferrer, on s'expose à un double risque : celui de voir le poisson relâcher parce que la pression du courant sur le fil finit par éveiller sa méfiance, et celui de rater complètement son ferrage parce que le courant a entraîné des mètres de bannière hors du moulinet (le même problème peut se produire en lac, par grand vent).
Que ce soit dans un amas de bois noyé ou dans un herbier très dense, le carnassier, après l'attaque, n'a que quelques mètres à parcourir pour regagner l'obstacle. Là aussi, le risque est double : le poisson sent une résistance et recrache, parce que la ligne se prend dans quelque chose, ou bien il avale; mais il est trop engagé dans l'obstacle et il faut se résoudre à casser la ligne. Non seulement on perd le poisson, mais il risque de crever.
Nous avons tous étés confrontés à ces faux départs, quand le poissons s'empare du vif ou du mort posé, parcourt quelques mètres, puis recrâche l'appât et n'y revient pas. Les raisons de ces « ratages » peuvent êtres multiples : montage insuffisamment sensible ou coincé dans un obstacle, détail quelconque éveillant la méfiance du carnassier, ou encore, et c'est plus fréquent qu'on ne le pense, poisson qui attaque par agressivité mais sans intention d'avaler, et qui recrâche le vif après l'avoir tué ou éloigné de son territoire.
Dans ces cas là le poisson est perdu et la frustration est grande, d'avoir patienté tout ce temps pour échouer si près du but. Le ferrage à la touche, avec un armement adapté, peut résoudre ce problème, et les quelques poissons perdus car mal piqués seront compensés par ceux que l'on a piqué avant qu'ils ne recrâchent.
En conclusion, le ferrage à la touche est plus éthique (respect du poisson non maillé), procure plus de plaisir (des combats plus intenses et plus incertains, satisfaction d'avoir pêcher proprement), et s'il fait parfois manquer quelques poissons il en fait également prendre que l'on aurait manqués (relâchés, accrochages).
Pour celui qui l'adopte, le bilan est globalement positif. Alors, le ferrage à la touche, adoptons-le ! La page suivante aborde l'aspect technique des montages et du ferrage.